Quand on est malade et que ça dure, il arrive que se développe une sorte de culpabilité. Culpabilité de ne pas guérir suffisamment vite, culpabilité d’avoir mal, culpabilité de ne pas être utile…
Inconsciemment, on a intégré que la bonne santé ne dépend que de notre bon vouloir. Que l’esprit peut prendre le contrôle de la matière et qu’il suffit d’avoir de la volonté pour « faire guérir son corps ». C’est donc anormal et presque honteux d’être malade ou immobilisé. Cela signifie qu’on « ne veut pas guérir », comme si on se complaisait dans notre douleur. Ne riez pas, cette rengaine, je l’ai entendue bien des fois pendant ma convalescence : « si tu es malade, c’est que tu ne veux pas guérir ! » voire même : « tu trouves plus d’avantages à être malade, c’est pour ça que ta convalescence est si longue… ». Soyons très clair, à moins d’avoir de sérieuses tendances masochistes ou mythomanes, aucune personne saine d’esprit ne ralentirait sa propre convalescence en choisissant volontairement d’endurer de telles douleurs !
Il faut simplement laisser le temps à la nature de faire son travail, et accepter que notre esprit n’est pas entièrement maître de notre corps. Et je le sais, j’ai passé bien des heures à visualiser ma colonne qui se remettait en place, convaincue que j’arriverais par mes pensées à faire se réparer mon corps… sans succès… J’ai aussi tenté de forcer mon corps à refaire ce qu’il pouvait faire avant, en traversant la douleur en serrant les dents, dans l’espoir que la « remise en mouvement » accélèrerait la convalescence. J’ai tenu par la force de l’esprit, mais il a bien fallu se rendre à l’évidence, en voulant aller trop vite, dans le meilleur des cas ma convalescence a pris du retard et dans le pire, je me suis encore plus abîmée…
J’avais vaguement en tête l’image d’un arbrisseau qui pousse : si vous voulez le faire pousser plus vite en essayant de tirer dessus, vous ne risquez que de le fragiliser, ou même de le casser de manière irrémédiable. Au contraire, il faut l’arroser, le bichonner, lui apporter les meilleurs soins et lui laisser le temps de pousser jusqu’à devenir un bel arbre robuste. La similitude avec ma convalescence et ma colonne vertébrale semblait sauter aux yeux. Il faut savoir attendre patiemment que mère nature fasse son travail, et se sortir de la tête ces idées d’esprit qui impose sa volonté à la matière.
Et c’est d’ailleurs ce que nous dit le philosophe stoïcien Epictète – après cette looongue introduction, venons-en au fait mademoiselle !
Pour la petite Histoire :
S’il vous reste quelques vagues souvenirs de vos cours de philosophie ou éventuellement de grec ancien, vous avez probablement retenu du stoïcisme le super principe suivant : Distingue ce qui dépend de toi de ce qui ne dépend pas de toi, et ne t’embarrasse pas de ce qui ne dépend pas de toi.
Epictète est un des piliers du stoïcisme. Ce philosophe est né en Grèce en l’an 50 après J.C. et mort entre l’an 125 et l’an 130, on ne sait pas trop.
Il fut réduit en esclavage à Rome, sous le joug d’un maître cruel. Le récit de la jambe cassée, c’est lui. Alors que son maître était en train de le torturer, Epictète lui aurait dit en gardant son calme : « Tu vas la casser ». Puis « Elle est cassée ». Selon la légende, il en serait resté boiteux. Bon, son maître le laisse quand même assister aux conférences d’un stoïcien, Musonius Rufus, avant de l’affranchir. Il se serait alors ensuite plongé dans la philosophie, vivant une vie modeste, et il ouvrit une école où il enseignait ses préceptes.
S’il n’a pas écrit lui-même, certains de ses enseignements ont été retranscrits par son disciple Arrien. Un peu comme Socrate et Platon. C’est entre autre le cas pour le Manuel (Enkheiridion en grec ancien), dans lequel Arrien relate les grands principes glanés pendant les leçons du maître.
Morceaux choisis du Manuel d’Epictète à destination des malades :
Et parce qu’un article n’est utile que s’il cite ses sources et vous permet de vous faire une idée par vous-même, commençons directement par les citations du Manuel d’Epictète les plus importantes pour nos petites affaires :
« Il y a des choses qui dépendent de nous ; il y en a d’autres qui n’en dépendent pas. »
« Ce qui ne dépend pas de nous, c’est notre corps »
« si [une idée] se rapporte [aux choses] qui ne dépendent point de nous, sois prêt à dire : Cela ne me concerne pas. »
« si tu as de l’aversion pour la maladie, la mort ou la pauvreté, tu seras malheureux. Retire donc ton aversion de tout ce qui ne dépend point de nous »
« Ne demande pas que ce qui arrive arrive comme tu veux. Mais veuille que les choses arrivent comme elles arrivent, et tu seras heureux. »
« La maladie est une entrave pour le corps, mais non pour la volonté, si elle ne le veut. »
« A chaque accident qui te survient, souviens-toi, en te repliant sur toi-même, de te demander quelle force tu possèdes pour en tirer usage. »
« Il se comporte comme les convalescents, et il craint d’ébranler ce qui se remet, avant de recouvrer son affermissement. »
Comment Epictète peut nous aider à traverser une maladie :
En gros, Epictète nous rappelle que le corps est quelque chose qui ne dépend pas de nous. Que lorsqu’on est malade ou mal-portant, c’est une donnée que nous devons intégrer sans la repousser, puisque nous n’avons pas le pouvoir d’agir dessus.
Prend-toi ça en pleine figure, ego ! Et oui, les philosophes antiques avaient déjà la sagesse de reconnaître que ce n’est pas avec la force de la volonté qu’on « fait » guérir le corps.
Ce qui ne veut pourtant pas dire rester passif. Epictète prône d’apaiser son esprit, en acceptant la situation de son corps sans se laisser envahir par le désespoir ou le découragement. De puiser en soi la force de garder le moral, en reconnaissant simplement l’état de son corps. Et enfin, de faire preuve de patience et de prudence, afin de ne pas ébranler ce qui est en train de se renforcer.
C’est dit !
Si vous suivez bien les prescriptions de vos médecins, et que votre convalescence prend du temps, vous pouvez donc déculpabiliser. Ce n’est aucunement par manque de bonne volonté que cela dure, ce n’est pas de votre faute. Et si en plus vous travaillez à apaiser votre esprit pour ne pas être angoissé par votre état, vous faites déjà tout ce qu’il faut.
En résumé : votre esprit n’a pas le pouvoir de guérir votre corps en faisant se ressouder comme par magie ce qui est cassé. En revanche, il vous appartient de faire un effort de volonté afin d’aborder la situation avec sérénité. En évitant d’en rajouter avec crispation, angoisse et apitoiement, vous aurez une convalescence moins pénible et probablement plus rapide car vous serez moins tendu. Donc trouvez un moyen de profiter de la vie – et non de votre maladie – pendant votre convalescence ! Ça tombe bien, c’est un peu le but d’Un Sourire aux Lèvres 😊 !
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